mercredi 2 septembre 2015

Eugène Bersier – une petite biographie




Eugène Bersier naît le 5 février 1831 à Morges, dans le canton de Vaud (Suisse). Son père, Jacques Bersier, d’origine française, est alors intendant d’une grande famille anglaise à Morges ; sa mère, née Louise Coindet (? – 1856), est à moitié anglaise et d’origine huguenote. Eugène est le plus jeune d’une fratrie de quatre enfants : Emma (18??-1859), Auguste (qui émigrera en Amérique et deviendra journaliste), William (qui meurt à l’âge de douze ans, brûlé vif dans un laboratoire de chimie) et Eugène.

En 1838, la mère, séparée de son mari, et ses enfants s’installent à Genève ; ils y vivent dans une assez grande pauvreté : Louise fait vivre la famille en donnant des cours d’anglais et de musique. Eugène entre au collège de la ville. Son frère et sa sœur ayant quitté le domicile familial, Eugène y vit finalement seul avec sa mère.

En 1845, celle-ci part pour la Livonie (un territoire alors russe, correspondant aux états baltes de nos jours), où elle remplace Emma en tant que préceptrice. Eugène reste seul à Genève ; il continue ses études secondaires tout en gagnant sa vie comme répétiteur, d’abord dans la pension de M. Janin-Chevalier, ensuite chez M. Gibert. Il est confirmé par le pasteur Demôle et envisage de devenir pasteur, mais par la suite, il se rapproche davantage du socialisme. Ayant terminé ses études secondaires en 1847 et commencé des études de belles lettres, il décide subitement de partir pour l’Amérique. 

Après un court séjour à Paris, où il est témoin des événements de juin 1848, il traverse l’Atlantique en voilier. Il reste d’abord à New York, où il passe l’hiver dans une grande pauvreté. Il caresse l’idée de partir en Chine, mais une lettre de sa mère le détourne de ce projet. On lui propose une place d’enseignant dans un pensionnat de New Rochelle, une ville de la banlieue nord de New York. Il y vit une sorte de conversion à la lecture d’un sermon de Vinet. Il étudie beaucoup, entre autres l’hébreu biblique. En été 1850, il repart en Europe, avec la ferme intention de faire des études de théologie.

En octobre de la même année, il s’inscrit à l’école de théologie de l’Oratoire de Genève. Il passe ses examens en janvier 1854 et soutient une thèse sur « La méthode de l’apologétique ». Il monte ensuite à Paris, avec l’intention d’y poursuivre ses études. Il se trouve rapidement intégré à la « chapelle Taitbout » de l’Eglise libre, héritière du Réveil de 1830. On lui demande de remplacer ponctuellement Edmond de Pressensé (1824-1891). Il collabore également à la toute nouvelle Revue Chrétienne et se voit souvent invité chez son rédacteur en chef, le médecin et naturaliste Henri Hollard (1801-1866), dont une sœur avait épousé Victor de Pressensé (1796-1865). Hollard a trois enfants : Marie (1831-19??), Roger (1838-1902, pasteur à Bordeaux et à Paris) et la poétesse Henriette (1840-1875). Eugène se fiance avec Marie au mois de mai 1854. 

Peu après, Eugène est nommé – sans avoir été consulté auparavant – pasteur du Comité de la Société Evangélique de France au faubourg Saint-Antoine à Paris. Il part néanmoins, dès le mois de juillet, pour un séjour d’études en Allemagne, d’abord à Halle, où enseigne le théologien August Tholuck (1799-1876), puis à Göttingen, où Eugène suit l’enseignement d’Isaak Dorner (1809-1884). Mais son séjour allemand est raccourci, car Henri Hollard est nommé professeur de zoologie à Poitiers et souhaite voir le mariage de sa fille concrétisé avant son départ de Paris. Le mariage a donc lieu le 10 février 1855. Eugène travaille ensuite comme pasteur au faubourg Saint-Antoine. C’est là que naît sa fille aînée Mathilde (1855-1945). Le 5 septembre, il est consacré au saint ministère dans la chapelle Taitbout. 1855 est aussi l’année de sa naturalisation en France. 

A partir de 1856, Bersier effectue des voyages de collecte en faveur de différentes œuvres protestantes, notamment en Angleterre et en Hollande, mais aussi dans le Midi de la France. Cette activité lui donne aussi l’occasion d’une rencontre avec Victor Hugo à Guernesey. 

En 1858, son fils aîné Henri naît à Poitiers. Un peu plus tard, Bersier et sa femme quittent l’Eglise du faubourg Saint-Antoine, à la demande de Victor de Pressensé, qui a besoin d’aide dans la gestion de diverses œuvres, dont la Société des traités religieux. La proximité de Bersier avec Edmond de Pressensé lui donne également accès à certains cercles d’intellectuels parisiens. 

En 1959 son troisième enfant, Emma (1859-1913), vient au monde. Vers cette période, Eugène Bersier commence à s’intéresser à la question de la liturgie du culte. 

En août 1860, on lui demande de remplacer le pasteur Georges Fisch (1814-1881) de la chapelle Taitbout, qui effectue un séjour d’un an aux Etats-Unis. Au retour de M. Fisch, en 1861, l’Eglise décide de maintenir Eugène dans sa fonction. Sa fille Henriette (1861- ?) naît au mois de novembre de la même année. Peu à peu, le jeune pasteur prend conscience de sa vocation comme prédicateur. Il continue cependant à diriger la Société des traités et à collaborer aux œuvres de la Société évangélique. 

En mars 1865, son cinquième et dernier enfant, Paul (1865-1945), vient au monde. En automne de la même année, Bersier passe ses vacances en Allemagne, dans la Hesse, pour compléter ses études trop brusquement interrompues. Mais un mois après son arrivée, il est rappelé d’urgence à Paris, où le choléra a fait des victimes à la chapelle de Taitbout. 

La santé des enfants pousse le pasteur à déménager les siens du Boulevard des Batignolles au Boulevard Pereire (près de Neuilly) en 1866. Ce déménagement finira par avoir des conséquences inattendues. Bersier organise un service religieux du soir dans une salle d’école à Neuilly. Il est assisté par ses collègues de la chapelle Taitbout. Quand la salle devient insuffisante, en 1868, on déménage dans un local de l’Avenue de la Grande Armée. 

Bersier devient un conférencier apprécié ; en 1869, par exemple, on l’invite, à donner une série de conférences à Genève et à Strasbourg. 

En 1870, il caresse le rêve d’acheter un terrain pour construire une église plus grande, mais ce projet est anéanti par le siège de Paris. Les armées prussiennes avançant, Bersier envoie sa femme et ses enfants en Normandie. Un peu plus tard, la famille trouve refuge sur l’île de Jersey. Lui-même, comme la plupart des pasteurs de la capitale, reste à Paris. Il prendra la direction des brancardiers du Comité Evangélique de secours des blessés et monte même, à la demande de Sir Richard Wallace (1818-1890), une ambulance au nom de l’Angleterre. Quand Paris capitule, après un siège long et éprouvant, le 28 janvier 1871, Bersier en est profondément affligé. Après de courtes retrouvailles avec sa famille, il retourne à Paris où se prépare la catastrophe suivante : la guerre civile. Des curés sont arrêtés en grand nombre et les insurgés molestent les diaconesses de Reuilly, mais les pasteurs ne sont pas inquiétés. L’accès aux ambulances de la Commune leur est cependant interdit. Marie Bersier, qui trouve son mari particulièrement découragé, le rejoint finalement à Paris, malgré son ordre contraire. Ils s’installent dans l’appartement d’Edmond de Pressensé, rue de Clichy, leur maison du boulevard Péreire ayant été réquisitionnée par la Commune. Privé de toute activité, Bersier écrit une chronique de la Commune dans le Journal de Genève

Après la chute de la Commune, la vie reprend doucement dans la capitale. Les Bersier retrouvent leur maison en piteux état. L’épouse et les enfants d’Eugène prolongent leur séjour à Jersey ; le pasteur est épaulé par sa belle-sœur Henriette. 

En juin 1872, le Synode général officiel de l’Eglise réformée se tient à Paris. Bersier y participe en tant que délégué des Eglises libres et se fait remarquer par son assiduité. 

En 1873, Bersier est cependant très actif au Synode des Eglises indépendantes à Saint Jean du Gard, où il est élu président. Le Conseil de la Chapelle de l’Etoile décide la construction d’une église plus grande. Le terrain choisi en 1870 est acheté et un architecte suédois est agréé. Le pasteur s’active dans la récolte de fonds pour la nouvelle église. 

L’année 1874 marque un tournant pour Bersier. L’année commence mal, car le pasteur tombe gravement malade, au point qu’on craint pour sa vie : une fièvre typhoïde le terrasse pendant plusieurs semaines. En octobre, il repart en Angleterre pour collecter des fonds pour la nouvelle Eglise. A son retour, il prend une grande décision qui semble avoir mûri pendant longtemps : il démissionne de la chapelle Taitbout et fait les démarches pour se rattacher, ainsi que l’Eglise de l’Etoile, à l’Eglise établie. Ce rattachement est ratifié par le Consistoire de Paris en 1877. 
Les raisons précises de ce changement radical sont quelque peu obscures et sans doute multiples. A priori la démarche n’est pas due à des considérations financières, car l’Eglise de l’Etoile se finance par des dons et Bersier ne devient que pasteur auxiliaire dans l’Eglise réformée. Marie Bersier évoque néanmoins le désir « d’assurer l’avenir de l’œuvre de l’Etoile ». Bersier explique dans la brochure polémique « Mes actes et mes principes » qu’il s’agit pour lui de ne pas abandonner les multitudes protestantes par un repli dans l’isolation des Eglises libres. Son retour à l’Eglise réformée serait aussi « une affirmation de l’unité même visible de cette Eglise ». On constate d’ailleurs chez Bersier un grand attachement à l’Eglise anglicane (à laquelle appartenait sa grand-mère maternelle) et sa liturgie, c’est-à-dire à un monde ecclésiastique plus proche de l’Eglise réformée que des Eglises libres. Outre la liturgie, sa passion pour l’histoire des huguenots rapproche Bersier de l’Eglise établie. Il est donc difficile de trancher, mais on peut penser que Bersier pensait pouvoir rayonner davantage en faisant partie de l’Eglise nationale. Peut-être croyait-il avoir plus de chances de promouvoir sa réforme de la liturgie de l’intérieur de l’Eglise réformée. 
Lors de l’inauguration de la nouvelle Eglise, le 29 novembre 1874, on inaugure aussi la nouvelle liturgie. 

En septembre 1875, Bersier perd sa belle-sœur bien-aimée Henriette Hollard. Le pasteur publiera un recueil de poésies de la jeune femme. Au mois de septembre de la même année, l’Eglise de l’Etoile fait appel à un deuxième pasteur, Edmond Stapfer (1844-1908) ; son installation a lieu en août 1876. Il sera remplacé par Jules Vinard (1848-1920) en 1888. 

A partir de juillet 1878, Bersier collabore régulièrement à la Mission populaire du Révérend écossais Robert McAll (1821-1893).

Parmi les projets marquant les dernières années du ministère d’Eugène Bersier on peut citer :
  • La création d’une école professionnelle de jeunes filles ;
  • La réalisation d’un monument en souvenir de l’amiral Gaspard II de Coligny (1519-1572) – ce monument, situé au chevet de l’église de l’Oratoire à Paris, a été inauguré en juin 1889 ;
  • Le projet d’une liturgie à l’usage des Eglises Réformées, qui n’a finalement pas été présenté au Synode national de 1890.
Bersier meurt de manière inattendue, le 18 novembre 1889, foudroyé par une crise cardiaque. Il semblerait que son dernier mot est : « Et l’Eglise ! » 

Outre ses cinq enfants, dont aucun ne semble avoir repris le flambeau pastoral, Bersier a laissé un grand nombre d’écrits, dont une multitude d’articles de journaux. Comme œuvres majeures on peut citer :
  • ses Sermons (sept volumes)
  • Histoire du Synode général de l’Eglise Réformée de France, 2 vol., 1872
  • Liturgie à l’usage des Eglises Réformées, 1874, 1876, 1881
  • Coligny avant les guerres de religion : études sur le XVIe siècle, 1884
Parmi ses descendants, nous avons identifié quelques personnes connues, dont le peintre et graveur Jean-Eugène Bersier (1895-1978), le directeur de l’Ecole des Mines Edmond Friedel (1895-1972) ou encore le physicien Jacques Friedel (1921-2014).


Sources :
  • Eugène Bersier, « Mes actes et mes principes. Réponse aux attaques de M. J.F. Astié », Paris, 1877, 93 p.
  • Marie Bersier, Recueil de souvenirs de la vie d’Eugène Bersier, Fischbacher, Paris, 1911, 459 p. Ce n’est pas à proprement parler un texte historique – l’ouvrage déborde de bon sentiments, on frôle parfois l’hagiographie –, mais force est de constater que c’est presque la seule source d’information sur la vie personnelle du pasteur.
  • André Encrevé et Daniel Robert, « A l’occasion du centenaire de l’Eglise de l’Etoile (1974-1975) ; Eugène Bersier (1831-1889) », Bulletin de la Société du Protestantisme Français, juillet-août-septembre 1976, p. 211-228
  • André Encrevé, entrée « Bersier » in Mayeur-Hilaire, Dictionnaire du monde religieux. 5. Les protestants, 1993, p. 689
  • Stuart Ludbrook, « Eugène Bersier (1831-1889) », La Revue Réformée, n° 198, mars 1998, p. 59. Ceux qui s’intéressent à la liturgie de Bersier devraient consulter la thèse de Ludbrook sur « La liturgie de Bersier et le culte réformé en France : ‘ritualisme’ et renouveau liturgique. » (591 pages tout de même !)
  • Informations généalogiques glanées sur quelques sites Internet, et notamment les arbres généalogiques de Jean Friedel sur Geneanet.

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Aussi publié sur mon site consacré à la prédication française (ici).

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