lundi 29 août 2016

Etienne Chauvin (1640-1725)



Voici la biographie d’un homme intéressant que j’ai croisé dans mes lectures, un pasteur happé par les Lumières et son amour des sciences ...

Etienne (ou Stephanus) Chauvin naît à Nîmes le 18 avril 1640. Son père, Jacques Chauvin, est un marchand aisé.

Etienne fait des études de théologie à Nîmes. En 1661, nous le trouvons à Paris, probablement pour compléter sa formation [1]. Ayant défendu sa thèse en 1662, il est admis comme pasteur. Il est consacré par le synode provincial de Montpellier le 3 mai 1663.

Chauvin travaille comme pasteur dans plusieurs villes du Midi de la France : à Montpellier (Hérault), puis à Saint-Jean de Ceyrargues [1662-1663], de nouveau à Montpellier [1665-1667] – où il épouse en 1668 Eléonore Le Roux, originaire de la ville – et ensuite à Congénies (Gard) [1670-1673].

Arrivé à Velaux (Bouches-du-Rhône) en 1673, Chauvin se fait remarquer par une société secrète catholique, la Compagnie du Très-Saint-Sacrement, qui l’accuse d’avoir illégalement effectué des actes pastoraux dans les villes voisines de Marseille et d’Aix-en-Provence. Le jésuite Bernard Meynier (1604-1682) se penche sur son cas et parvient à la conclusion que l’on ne peut empêcher Chauvin d’habiter Marseille, mais en fin de compte le pasteur se voit néanmoins obligé à quitter Velaux. Il occupe ensuite des postes à Béziers (Hérault) [1677-1681] et Uzès (Gard) [1681-1685]. Ses enfants Rose [2] (1683-1750) et Antoine (1685- ?) naissent dans cette ville.

Peu après la Révocation de l’Edit de Nantes en 1685, Chauvin est arrêté en Dauphiné et conduit à la prison de Grenoble. Ayant passé 43 jours dans un cachot, il est banni du royaume par arrêt du Parlement. Il s’exile d’abord à Francfort où sa femme le rejoint avec deux de leurs enfants ; les trois autres enfants gagnent Rotterdam où la famille s’établit. Chauvin se décrit alors comme « exilé, errant et complètement vidé » [3].

Pendant une dizaine d’années, Chauvin exerce les fonctions de pasteur de l’église wallonne de Rotterdam. Il y fonde un pensionnat pour jeunes gens. C’est aussi à cette période que Chauvin semble avoir découvert son amour pour la philosophie et les sciences de la nature [4]. En 1687, il remplace Pierre Bayle (1647-1706), qui est malade, à la chaire de philosophie de Rotterdam, jusqu’au printemps 1688 [5].

En 1688, tous ses enfants [6] sont naturalisés en Angleterre [7].

En 1692, il publie son ouvrage principal, le Lexicon rationale, un dictionnaire alphabétique de termes philosophiques. Il rapporte les avis des anciens (auteurs classiques et chrétiens) et les compare aux vues des modernes. Cet ouvrage a un grand succès et fonde la réputation de Chauvin.

Il publie le premier volume de son Nouveau journal des savants en 1694. Cet ouvrage, « qui brille par érudition plus que par le goût » [8] a cependant moins de succès que l’Histoire des ouvrages des savants de Basnage.

Sa notoriété lui vaut l’invitation à Berlin par le prince-électeur Frédéric III en 1695 : il est nommé pasteur principal de l’Eglise réformée francophone et professeur de philosophie au Collège français, une institution qui prépare des jeunes gens à l’université.

Par ailleurs, il enseigne la physique aux princes de la Maison de Brandebourg.

A Berlin, il continue également la publication du Nouveau journal des savants.

Entré en relation avec Leibniz, il appartient au groupe de réfugiés berlinois qui participe en 1700 à la création de la « Société des sciences » (la future Académie des Sciences) et fait partie de ses premiers membres [9].

En 1708, il est nommé inspecteur perpétuel du Collège français. Bénéficiant de l’appui du souverain, qui le soutient dans une querelle avec le Consistoire français, il fait évoluer les structures de l’école, sur le modèle des académies protestantes. Il y introduit un enseignement de type universitaire et des « disputationes » présidées par des personnages éminents de l’Etat brandebourgeois.

A Berlin il élargit son Lexicon rationale de 1692 : il le publie sous le titre Lexicon philosophicum en 1713. Ce travail fait de Chauvin un précurseur des Encyclopédistes.

Il reste d’ailleurs en relations avec le Refuge hollandais ; en 1715, il publie un article dans le Journal littéraire de La Haye.

A Berlin, Chauvin fait partie de la société de pasteurs qui fondent en 1720 la Bibliothèque germanique ; il est très lié au pasteur Jaques Lenfant (1661-1728), au juriste Jean Barbeyrac (1674-1744), au théologien Isaac de Beausobre (1659-1738), au pasteur et scientifique Alphonse des Vignoles (1649-1744), et au théologien Jean-Alphonse Turrettini (1671-1737).

Chauvin meurt à Berlin le 6 avril 1725, quelque jours avant sont 85e anniversaire.

Il laisse relativement peu d’écrits :

  • Theses de Cognitione Dei (1662) ;
  • Lexicon rationale sive Thesaurus Philosophicus Ordine Alphabetico digestus, in quo Vocabula omnia Philosophica, variasque illorum acceptiones, juxta cùm Veterum, tùm Recentiorum placita, explicare ; & universe quae lumine naturali sciri possunt, non tam concludere, quàm recludere conatur (1692) ; 
  • Nouveau journal des savants (1694-1698), en 4 volumes ; 
  • Lexicon Philosophicum secundis Curis ita tum Recognitum & Castigatum; tum varie variis in locis illustratum; tum passim quammultis accessionibus auctum & locupletatum, ut denuo quasi (1713) : réédition augmentée du Lexicon rationale ;
  • De nova circa vapores hypothesi in : Miscellanea Berolinensia (1710).

Nous n’avons pas trouvé la moindre trace des sermons de Chauvin : il ne semble pas en avoir publié.


Sources principales
  • Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français (BSHPF), année 61, 1912, p. 539ss
  • Eugène Haag, La France protestante ou vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire (1852), vol. 3, Brossier-Colivaux, 512 p.
  • Giuliano Gasparri, Étienne Chauvin (1640 - 1725) and his Lexicon philosophicum, Georg Olms, 2016, 267 p.


[1] Gasparri, p. 20 cite une lettre de Jean Daillé fils à Louis Tronchin datée du 30 juin 1661, dans laquelle il mentionne « MM. Du Gros et Chauvin, deux proposants du Languedoc qui retournent chez eux par la voie de Lyon. »

[2] Elle épousera Matthieu de Verny, un officier du régiment de Varennes.

[3] Notre traduction de son expression « exulem, errabundum et ab omnibus rebus vacuum ».

[4] Gasparri, p. 23

[5] Bayle semble avoir été quelque peu irrité par l’attitude de Chauvin, à en croire ses lettres à David Constant, citées par Gasparri, pp. 22-23.

[6] Pour la plupart d’entre eux, nous ne connaissons que leurs noms : Thomas, François, Catherine, Rose et Antoine.

[7] BSHPF, p. 540

[8] Haag, p. 429

[9] Un article historique de l’Académie consacré à Chauvin contient la remarque suivante fort intéressante (notre traduction de l’allemand) : « Il est difficile de dire quelle a été la valeur du membre fondateur pour la classe physico-médicale de la Société. Harnack nous apprend cependant que le Président de l’Académie, qui avait intérêt à montrer rapidement au public la puissance scientifique [de l’institution] refusa la contribution que Chauvin avait proposée pour être publiée dans le premier volume des Miscellanea. Le volume, qui a été finalement publié en 1710, après de longues querelles concernant son financement, contient son article intitulé « Nova circa Vapores Hypothesis » dans une version qui avait finalement été améliorée à l’initiative de Leibniz. Nous ne savons pas quel effet ce volume a eu. Nous ignorons également ce que la note – attestée dans les archives – que Chauvin seul avait été capable d’utiliser la pompe à air qu’on avait fait venir difficilement et à grands frais des Pays-Bas, dit sur les scientifiques de l’Académie. En tout cas, sa maîtrise de cet instrument scientifique n’a pas empêche plusieurs collègues de classe de compter le presque octogénaire Chauvin parmi les « littéraires » et de se moquer de lui comme étant peu sérieux et inutile. » (voir http://www.bbaw.de/die-akademie/akademiegeschichte/historischer-kalender/april)

Egalement publié sur mon site consacré aux prédicateurs de langue française (ici). Vous y trouverez également deux portraits de Chauvin.

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